Je suis pr\u00eatre catholique, je suis aum\u00f4nier \u00e0 l\u2019h\u00f4pital de la Piti\u00e9-Salp\u00e9tri\u00e8re, je travaille notamment avec Mich\u00e8le Levy-Soussan, je suis aussi enseignant-chercheur au Coll\u00e8ge des Bernardins et j'ai cr\u00e9\u00e9 une chaire de recherche sur les questions \u00e9cologiques, la chaire Laudato si\u2019, qui est le nom de l\u2019encyclique du pape Fran\u00e7ois sur l'\u00e9cologie et qui a un sous-titre qui s'appelle \u201cpour une nouvelle exploration de la terre\u201d.<\/p>
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Il y a 3 choses qui, les deux premi\u00e8res me viennent de ce travail \u00e9cologique et la derni\u00e8re de mon minist\u00e8re \u00e0 l'h\u00f4pital.\u00a0<\/p>
La premi\u00e8re, j'\u00e9tais tr\u00e8s frapp\u00e9 par l\u2019intitul\u00e9 de la question que vous nous avez envoy\u00e9. Je peux peut-\u00eatre la lire : dans ces lieux o\u00f9 le temps est diff\u00e9rent, qu'est-ce qui le d\u00e9finit? J\u2019ai trouv\u00e9 la question tr\u00e8s \u00e9tonnante en fait parce que, dans ces lieux o\u00f9 le temps est tr\u00e8s diff\u00e9rent, ca suppose qu\u2019il y a d\u2019autres lieux o\u00f9 le temps serait standardis\u00e9. Ce que j\u2019ai d\u00e9couvert dans ces travaux \u00e9cologiques, puis en suivant beaucoup de scientifiques sur le terrain, c'est qu'en fait, comme le disait Philippe, il n'y a pas de temps sans lieu. Le temps standardis\u00e9, qui file et qui s'arr\u00eate jamais, le temps du progr\u00e8s ind\u00e9fini, ca c\u2019est un temps from nowhere. Mais le temps, c\u2019est une propri\u00e9t\u00e9 locale, en fait c'est toujours une propri\u00e9t\u00e9 locale qui est li\u00e9e a des vivants. C'est tr\u00e8s important. Il n\u2019y a pas de temps sans lieu et quand le temps se pr\u00e9sente \u00e0 nous comme universel, englobant, etc, m\u00e9fiance, c'est un temps de nulle part. Et celui-l\u00e0, si nous entrons, ce temps de nul part, il se passe des choses terribles. Je reste persuad\u00e9 que le d\u00e9sastre dans lequel nous sommes en train d'entrer, nous entrons dans le temps des catastrophes, la terre se d\u00e9fait en ce moment dans pas mal d\u2019endroits, je pense qu\u2019\u00e0 la racine de ce d\u00e9sastre, il y a ce temps de nul part qui au fond a envahit les humains. Il faut se d\u00e9faire de ce temps l\u00e0.<\/p>
Je vous ai envoy\u00e9 un petit texte qui est extrait d'un livre que je vous conseille, d\u2019une philosophe fran\u00e7aise qui s'appelle Bernadette Bensaude-Vincent qui a travaill\u00e9 \u00e0 la Sorbonne. Bernadette a \u00e9t\u00e9 l\u2019assistante de Michel Serres et a \u00e9crit un livre sur le temps qui s'appelle \u201cle temps paysage\u201d. Elle prend le temps de plusieurs chapitres pour d\u00e9monter ce temps chronos, ce temps chronologique, ce temps universel qui s'est impos\u00e9 comme la mesure de toute activit\u00e9 et qui est \u00e0 la racine des d\u00e9sastres. Ca c'est une premi\u00e8re chose, le temps c'est toujours le temps d'un lieu, c\u2019est toujours une propri\u00e9t\u00e9 locale des vivants.\u00a0<\/p>
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La deuxi\u00e8me chose plus rapide, qu\u2019est-ce qui d\u00e9finit le temps d\u2019un lieu? Je ne sais pas pourquoi vous voulez d\u00e9finir le temps. Je pense qu'on peut dire des choses sur le temps \u00e0 partir du moment o\u00f9 on accepte d'\u00eatre \u00e0 l'int\u00e9rieur du temps est pas en position de surplomb, et puis voil\u00e0 d\u2019imaginer qu'on pourrait le comprendre en \u00e9tant \u00e0 l'ext\u00e9rieur. Le temps, c'est comme l'a dit Philippe, ce sont des processus, ce sont des passages, avec des diff\u00e9rents moments d'archivage, donc on ne peut en rendre compte artistiquement, intellectuellement, qu\u2019en \u00e9tant dedans. Et c\u2019est pour ca que le temps de la prison, seuls les habitants de la prison peuvent en dire quelque chose.<\/p>
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Et puis, le dernier point qui me frappe beaucoup: c\u2019est au fond, si on veut essayer de d\u00e9finir le temps d'un lieu \u00e0 quoi doit-on \u00eatre attentif ou sensible. J'ai envie de dire d'abord aux \u00e9v\u00e9nements. Ce quon appelle l'\u00e9v\u00e9nement j'aimerais bien avoir un dialogue sur qu' est-ce que c'est un \u00e9v\u00e9nement. C'est quelque chose qui a lieu justement, qui va laisser des traces peut-\u00eatre mais en tout cas qui n'\u00e9tait pas pr\u00e9vu, qui va me surprendre, qui va me bouleverser, m\u2019obliger \u00e0 me d\u00e9placer, qui va saturer mes propres concepts, ca c\u2019est un vrai \u00e9v\u00e8nement. C\u2019est ce qui d\u00e9passe nos propres capacit\u00e9s de comprendre et qui va obliger \u00e0 faire un chemin. Je vais aller m\u00eame plus loin, pour moi, au fond, les grands \u00e9v\u00e8nements qui font la temporalit\u00e9 d\u2019un lieu, c\u2019est quand une rencontre, une pr\u00e9sence nous fait passer d\u2019un \u00e9tat de l\u00e9thargie, de tristesse, de temps sans esp\u00e9rance et puis cette rencontre vous fait basculer. Il y a un avenir qui s\u2019ouvre et c\u2019est je dois avouer qu\u2019il y a des rencontres \u00e0 l\u2019h\u00f4pital cette fois-ci, avec des patients qui sont de cet ordre l\u00e0. En tant que membre de l\u2019aum\u00f4nerie, nous visitons des patients. J\u2019ai vraiment la plupart du temps, l'impression de ne rien apporter avec les mains vides, on n\u2019est pas m\u00e9decins, on ne peut pas soulager la douleur, on est vraiment dans l\u2019inutilit\u00e9 mais utile. C\u2019est-\u00e0-dire que ce dont nous t\u00e9moignent les patients, surtout pour ceux qui ne peuvent plus du tout durer, qui ne peuvent m\u00eame pas jeter un regard par la fen\u00eatre pour voir les arbres, voir le ciel, que la journ\u00e9e est interminable en fait pour certains. Je vois en psychiatrie, il y a des personnes qui sont allong\u00e9es sur leur lit toute la journ\u00e9e qui n\u2019ont pas pour l'instant, le ressort, la puissance ne serait-ce que\u00a0 d\u2019aller faire un tour du service. Ils nous disent que le temps est interminable, que la journ\u00e9e n\u2019en finit pas et lorsqu\u2019il y a une visite, si elle est discr\u00e8te et authentique, cette pr\u00e9sence change des choses. Je ne sais pas si c'est un arr\u00eat du temps ou si c\u2019est quelque chose de l\u2019\u00e9ternit\u00e9 qui est go\u00fbt\u00e9 \u00e0 ce moment-l\u00e0. Ca c'est ce que les patients nous disent et puis nous, nous faisons l'exp\u00e9rience aussi d'\u00eatre boulevers\u00e9s, nous qui visitons, nous faisons l'exp\u00e9rience d'\u00eatre boulevers\u00e9 et de ressortir diff\u00e9rent de la chambre. Je peux donner un t\u00e9moignage, je suis parfois appel\u00e9 dans une unit\u00e9 sp\u00e9ciale qui est peu connue, qui est une unit\u00e9 p\u00e9nitentiaire. Il y a l\u2019h\u00f4pital de la Piti\u00e9-Salp\u00e9tri\u00e8re, un b\u00e2timent, quand on le regarde de pr\u00e8s, personne ne le voit, mais il y a des barreaux aux fen\u00eatres. L\u00e0, l\u2019aum\u00f4nerie n\u2019y est appel\u00e9 que lorsqu\u2019une personne en fait la demande et seuls les pr\u00eatres peuvent aller. Et j\u2019ai un jour \u00e9t\u00e9 appel\u00e9, c\u2019\u00e9tait la premi\u00e8re fois que je faisais cette exp\u00e9rience, par un patient-d\u00e9tenu. On entre \u00e0 la fois dans une cellule et une chambre d'h\u00f4pital,\u00a0 cette hybridation \u00e9tonnante. Cette personne voulait parler avec un pr\u00eatre, donc je suis arriv\u00e9, je ne sais pas pourquoi il \u00e9tait d\u00e9tenu, il ne me l'a pas dit. Je sais qu'il souffrait d'un cancer de l'estomac, assez durement pour devoir \u00eatre hospitalis\u00e9 chez nous. Je l'ai \u00e9cout\u00e9 pendant une demi-heure et j'ai \u00e9t\u00e9 boulevers\u00e9 dans ma propre exp\u00e9rience temporelle, c'est-\u00e0-dire que quand je suis ressorti de la et je ne peux pas vous dire pourquoi, je ne savais pas ce qu\u2019il avait fait, il m'a simplement dit qu'il lui restait 18 ans faire, probablement le cancer aller aussi peut-\u00eatre changer la temporalit\u00e9, mais je suis ressorti de la en me disant, il n'y a aucune diff\u00e9rence entre lui et moi. C'est-\u00e0-dire qu'on pourrait au fond interchanger nos places, c'est-\u00e0-dire que je ne sais pas pourquoi j'ai fait cette exp\u00e9rience de me dire que je pourrais \u00eatre \u00e0 sa place, il pourrait \u00eatre \u00e0 la mienne. Parce qu\u2019apr\u00e8s, ca m\u2019a fait remonter dans ma m\u00e9moire, des moments de mon enfance, de mon adolescence et si je n\u2019avais pas eu tel ou tel personne, mon p\u00e8re notamment qui avait de l\u2019autorit\u00e9 sur moi, c\u2019\u00e9tait l\u2019un des rares, m\u2019a emp\u00each\u00e9 de basculer, des choses que je n'aurais pas aim\u00e9 faire et je me suis dit, et au fond, cet homme qui me parlait, dans d\u2019autres conditions, avec d'autres circonstances, pourrait \u00eatre en train de visiter des patients. Vraiment un renversement de l'exp\u00e9rience du temps.
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(Propos retranscrits par Antoine Ripaud)<\/em><\/p>"},"id":"cfe663e1-0d6c-485c-afe5-ff81b601bc62","isHidden":false,"type":"textBlock"}],"id":"83b086ba-16f6-4ad9-9495-e71c4eb080d0","width":"1\/1"}],"id":"b50e7aa9-571c-41b4-825e-257ddb6c0516"}] ---- Metatitle: ---- Seoimage: ---- Description: