Je m\u2019appelle Victor, je suis ravi d\u2019\u00eatre l\u00e0, d\u2019\u00eatre t\u00e9moin, de participer. Je suis psychiatre \u00e0 l\u2019H\u00f4tel Dieu et chercheur en sciences cognitives. Je travaille essentiellement sur la perception du corps et en particulier comment on construit la perception de son propre corps et comment les signaux de son propre corps peuvent \u00eatre mal interpr\u00e9t\u00e9s et comment un objet familier, m\u00eame le plus familier, peut-\u00eatre mal per\u00e7u. Je m\u2019int\u00e9resse \u00e0 des situations un peu particuli\u00e8res, \u00e0 la marge, certains sympt\u00f4mes psychiatriques, mais pas exclusivement. On peut par exemple percevoir, se repr\u00e9senter non pas avec 2 mais avec un 3\u00e8me bras, ou se repr\u00e9senter grand comme la Tour Eiffel, des situations parfois extr\u00eame comme celles-l\u00e0.<\/p>
Aujourd\u2019hui j\u2019aurai pu parler de beaucoup de choses et bcp de choses ont fait \u00e9chos \u00e0 ma pratique. J\u2019ai aussi \u00e9t\u00e9 psychiatre \u00e0 la Piti\u00e9-Salp\u00eatri\u00e8re et rendu visite \u00e0 des patients de l\u2019unit\u00e9 de prison avec une casquette de psychiatre, ce qui est un peu diff\u00e9rent probablement. Et \u00e0 l\u2019h\u00f4tel dieu, je vois \u00e9galement des patients \u00e0 l\u2019unit\u00e9 judiciaire. Mais j\u2019ai choisi de parler de vieillesse parce que je fais partie d'un groupe de recherche, de r\u00e9flexion multidisciplinaire en ce moment qui s\u2019int\u00e9resse \u00e0 comment essayer d\u2019am\u00e9liorer la vie des personnes lorsqu\u2019elles deviennent vieilles. Je dit vieux, avec toute bienveillance, pour parler des choses telles qu\u2019elles sont, tout comme j\u2019appelle jeune les jeunes, j\u2019appelle vieux les vieux, sans circonvolution.<\/p>
Dans la vieillesse, il semble qu\u2019il y ait une forme d\u2019incompr\u00e9hension parfois entre la personne vieille et son propre corps. Certaines personnes, si vous les interrogez, vous diront qu\u2019en r\u00e9alit\u00e9, elles ne se sentent pas si vieux. Plus pr\u00e9cis\u00e9ment, ils diront que leurs corps est certes moins habiles, avec moins de dext\u00e9rit\u00e9, plus douloureux, moins jouisseur, moins sensible, mais au fond, ils vous diront, moi dans ma t\u00eate, j\u2019ai toujours la m\u00eame fougue qu\u2019autrefois, je suis toujours jeune et volage et m\u00eame d\u2019ailleurs, je me sens parfois plus affut\u00e9 que lorsque j\u2019\u00e9tais plus jeune. D\u2019o\u00f9 le fameux adage\u00a0: si jeunesse savait et si vieillesse pouvait. Pas tout le monde, mais certains vous diraient \u00e7a. Alors, comment comprendre ce ressenti l\u00e0 de ces personnes qui sont \u00e0 la fois vieilles et jeunes\u00a0?<\/p>
\u00c7a m\u2019\u00e9voque une forme de dissociation de deux courbes du temps. D\u2019un c\u00f4t\u00e9 il y a le temps du corps de l\u2019autre, le temps de l\u2019esprit. Si je sch\u00e9matise, \u00e0 partir de l\u2019\u00e2ge de 15 ans, 20 ans, il y aurait une forme de dissociation, d\u2019un c\u00f4t\u00e9 le corps perds progressivement et in\u00e9vitablement son agilit\u00e9 et de l\u2019autre, l\u2019esprit, pour certains cas en tous cas, s\u2019affute. L\u2019esprit grandit quand le corps d\u00e9cr\u00e9pit. Je suis sch\u00e9matique, mais c\u2019est un peu fait expr\u00e8s. Peut-\u00eatre m\u00eame dans cette forme de dissociation l\u00e0, de l\u00e0 que nait, un peu de l\u2019angoisse, de l\u2019id\u00e9e de vieillir, de se retrouver avec un esprit peut-\u00eatre plus libre, lib\u00e9r\u00e9, accompli et un corps qui \u00e0 l\u2019inverse, \u00f4te la libert\u00e9, entrave, g\u00eane, de plus en plus. C\u2019est un triste constat. Mais on peut se poser une question\u00a0: est-ce que vraiment c\u2019est le cas\u00a0? Est-ce que vraiment les vieux ont une juste perception d\u2019eux-m\u00eames\u00a0? N\u2019y-a-t\u2019il pas la une forme de miroir d\u00e9formant\u00a0? Et m\u2019est revenu cette nouvelle de Francis Scott Fitzgferald qui s\u2019appelle The curious life of Benjamin Button<\/em> qui a donn\u00e9 lieu \u00e0 un film:\u00a0L\u2019\u00e9trange histoire de Benjamin Button<\/em>. C\u2019est l\u2019histoire extraordinaire et elle est fantasm\u00e9e bien s\u00fbr, d\u2019un homme qui na\u00eet avec un corps de vieillard et plus l\u2019homme devient vieux, plus le corps rajeunit. Et l\u00e0, c\u2019est m\u00eame plus une dissociation entre les deux lignes du temps, mais une inversion. Comme si l\u2019esprit avan\u00e7ait \u00e0 rebours du corps. Dans une telle vie, certes extraordinaire, on imagine une sorte d\u2019apog\u00e9e \u00e0 70 ans ou on aurait un esprit accompli et lib\u00e9r\u00e9 et un corps jeune et affut\u00e9. C\u2019est ce qu\u2019on pourrait fantasm\u00e9, imagin\u00e9, mais c\u2019est pas du tout l\u2019histoire de Benjamin Button, il termine sa vie avec un corps d\u2019adolescent certes mais avec des troubles cognitifs importants et l\u2019esprit embrum\u00e9 dans une forme de d\u00e9mence.<\/p> Qu\u2019est-ce qu\u2019on peut essayer de tirer de cette histoire de Benjamin Button\u00a0? Est-ce que finalement, je me suis dit, c\u2019est possible que dans certains cas, pour certaines personnes, l\u2019esprit fl\u00e9chisse tout autant, parall\u00e8lement, plus ou moins conjointement du corps chez les vieux, mais qu\u2019il y a une forme de miroir d\u00e9formant, qui fait que quand on est vieux, on se repr\u00e9sente l\u2019esprit un peu plus jeune, une forme de complaisance de l\u2019esprit pour garder un peu de jeunesse et prendre du temps \u00e0 ce que l\u2019esprit vieillisse. C\u2019est une question ouverte. J\u2019ai une coll\u00e8gue psychologue au New-Jersey qui a demand\u00e9 \u00e0 plus de 200 personnes de plus de 65 ans, comment elles consid\u00e9raient leurs propres activit\u00e9s\u00a0: est-ce que vos relations sont celles des gens de votre \u00e2ge\u00a0? Est-ce que votre \u00e2ge social et fonctionnel repr\u00e9sente votre \u00e2ge r\u00e9el\u00a0? Et bien non. Ces personnes l\u00e0 en tous cas, en majorit\u00e9, ont r\u00e9pondu que elle, dans leur \u00e2ge social et fonctionnel \u00e9tait bien plus jeune que leur \u00e2ge r\u00e9el.<\/p> Miroir, miroir mon beau miroir, montre moi tel que je suis mais aussi tel que je veux \u00eatre et pourquoi se priver de ce miroir d\u00e9formant l\u00e0, avec le temps qui passe \u2013 une question qui m\u2019a travers\u00e9e.<\/p>
(propos retranscrits par Antoine Ripaud)<\/em><\/p>"},"id":"2597c8a9-dc52-4d46-8e6e-5e379920153b","isHidden":false,"type":"textBlock"}],"id":"c3f87427-7c83-409d-9103-c37f53b47612","width":"1\/1"}],"id":"d8a205a6-1fe1-454b-a5b2-1c937f2a1bd4"}]
----
Metatitle:
----
Seoimage:
----
Description: