Je suis urbaniste, je travaille sur la ville depuis une quinzaine d\u2019ann\u00e9e. Depuis que je fais ce m\u00e9tier je suis sans cesse tiraill\u00e9 dans un esp\u00e8ce d\u2019immense paradoxe parce que la ville c\u2019est \u00e0 la fois quelque chose qu\u2019on voudrait dans un temps tr\u00e8s court \u2013 on a des injonctions \u00e0 faire, des objectifs de r\u00e9alisation, \u00e0 construire, \u00e0 aller toujours plus vite et en m\u00eame temps, c\u2019est quand m\u00eame tr\u00e8s difficile de construire la ville ex nihilo, il faut du temps. On sait tr\u00e8s bien que la ville qu\u2019on aime, celle dans laquelle on vit bien, c\u2019est sans doute les vieux bourgs, les vieux quartiers, ceux dans lesquels les arbres ont pouss\u00e9 depuis longtemps, dans lesquels on a de beaux espaces publics. Et on est sans arr\u00eat dans cet immense paradoxe de devoir faire tr\u00e8s vite des choses qu\u2019on ne sait pas faire tr\u00e8s vite. Je travaille depuis tr\u00e8s longtemps avec des \u00e9lus, qui sont \u00e9lus \u2013 les maires pour 5 ans \u2013 5 ans pour faire la ville, c\u2019est rien, c\u2019est impossible de mener ces r\u00e9flexions dans un temps aussi court.<\/p>
Je suis sans arr\u00eat dans ces paradoxes l\u00e0, qui sont tr\u00e8s difficile \u00e0 r\u00e9soudre et tout \u00e0 l\u2019heure, Philippe parlait des traces, des marches us\u00e9es, je pense que les formes de la ville, les choix qu\u2019on fait quand on con\u00e7oit la ville, le fait d\u2019y pr\u00e9server des espaces publics, de faire un choix politique, de construire les espaces publics, d\u2019y laisser des espaces libres pour y avoir une vie collective, riche, pour avoir le temps de vivre collectivement les espaces publics de la ville, il faut vraiment se battre et il y a une sorte de financiarisation de la construction urbaine et pour moi, la question du temps traduite dans la ville et dans la forme urbaine, c\u2019est avant tout la pr\u00e9sence des espaces publics et les espaces non b\u00e2tis.<\/p>
Je me disais en vous \u00e9coutant, c\u2019est que quelqu\u2019un disait tout \u00e0 l\u2019heure, le temps est une invention humaine. Oui, incontestablement, mais je me demandais\u00a0: \u00e0 quel moment on nous le dit\u00a0? A quel moment on nous explique \u00e7a, on nous forme \u00e0 \u00e7a, \u00e0 comprendre cette dimension l\u00e0\u00a0? Je me disais que c\u2019est un peu le plus grand mensonge qu\u2019on se fait \u00e0 nous-m\u00eame, collectivement et quotidiennement et en tous cas ce serait int\u00e9ressant d\u2019essayer de r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 quand est-ce qu\u2019on fait cet apprentissage du temps , qu\u2019on comprend qu\u2019en fait le temps est cette esp\u00e8ce de chose saisissable, qui a une influence importante sur la fa\u00e7on dont on ressent le moment qu\u2019on vit. C\u2019est peut-\u00eatre les apports de nos cours de philosophie en terminale, je ne sais pas tr\u00e8s bien ou on en est dans les programmes de philo. Tout \u00e7a pour dire, que l\u2019apprentissage du temps, c\u2019est quelque chose de tr\u00e8s personnel et c\u2019est vrai qu\u2019en fait on l\u2019apprend beaucoup un peu sous les coups de butoirs de la vie. On parlait tout \u00e0 l\u2019heure de regarder les \u00e9toiles. Moi j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 regarder les \u00e9toiles pendant les 6 mois ou ma m\u00e8re \u00e9tait dans le coma et je pense que c\u2019est la p\u00e9riode de ma vie ou je me suis le plus rendu compte de ce que c\u2019\u00e9tait le temps, ce c\u00f4t\u00e9 parfois intemporel, tr\u00e8s planant, tr\u00e8s arr\u00eat\u00e9. Le coma c\u2019est une esp\u00e8ce de sarcophage, de prison, c\u2019est un temps extr\u00eamement dur \u00e0 vivre \u2013 moi j\u2019\u00e9tais \u00e0 c\u00f4t\u00e9, je l\u2019ai pas v\u00e9cu \u00e0 sa place \u2013 mais \u00e0 ce moment, le fait de regarder les \u00e9toiles, \u00e7a m\u2019a vraiment aid\u00e9 \u00e0 penser. A la fois il y avait quelque chose de compl\u00e8tement \u00e0 l\u2019arr\u00eat et en m\u00eame temps, la possibilit\u00e9 de se projeter tr\u00e8s loin, en allant mettre un \u0153il dans un t\u00e9lescope et je pense que j\u2019ai beaucoup appris moi, sur ma relation au temps, au cours de cette exp\u00e9rience personnelle complexe et difficile \u00e0 vivre.<\/p>
J\u2019aurai pleins de choses \u00e0 dire sur la ville, sur le temps, mais on aura peut-\u00eatre d\u2019autres occasions pour le faire.<\/p>
(propos retranscrits par Antoine Ripaud)<\/em><\/p>"},"id":"bf703835-a43d-4496-800c-615eecaaf6c6","isHidden":false,"type":"textBlock"}],"id":"106171a4-cb7b-4819-b1e5-ba42dc0419ce","width":"1\/1"}],"id":"9ca21d4f-6e4f-46e1-a0c6-7fc41a76211c"}]'
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